Comme chaque année, l’Église de France organise une quête partielle impérée pour les églises catholiques d’Afrique le jour de la célébration de l’Épiphanie. Le thème retenu pour porter cette campagne est : » l’Afrique, des Peuples et une Terre pour la Paix ».
Mgr Georges Colomb, évêque de La Rochelle et Saintes, directeur national de la quête Épiphanie, vice-président d’Aide aux Églises d’Afrique, nous explique le choix de ce thème :
« L’Afrique est une terre créée par Dieu, qui désire vivre dans la paix malgré ses diversités. Lors de la clôture du synode sur l’Afrique, saint Jean Paul II invitait les catholiques d’Afrique à devenir acteurs de leur propre évangélisation. L’Afrique, terre aimée de Dieu, continent du soleil et d’une riche diversité attendait l’Évangile. L’évangélisation est le moteur premier pour toute l’Église qui veut répondre à l’impératif du Christ (Mt 28). L’évangélisation comme acte premier de recréation désiré par Dieu et opéré par son Église, devient culturellement un mouvement continu de Salut, telle une école qui transforme la vie, une éducation à la paix et une expérience toujours nouvelle d’une unité possible par la foi dans la diversité culturelle. L’unité souhaitée est une unification du fond malgré la diversité des formes. Ne tombons pas dans un contre sens qui donnerait force au péché de Babel. L’évangélisation n’est pas un outil politique d’alignement ou un projet culturel d’aplanissement. L’unité est une unification profonde qui permet de dépasser dans le Christ les différenciations. C’est le Christ, Prince de paix, qui doit devenir le cœur de toute culture religieuse puisque le monde est aimé de Dieu et soutenu par Lui dans un élan d’amour et d’aspiration. Dieu veut aspirer tout peuple à son Cœur pour en devenir son âme. Paul VI aimait à enseigner l’intensité du désir du Père d’entrer en dialogue avec ses enfants.
La Genèse nous rapporte qu’un petit groupe de personnes, conduit par le patriarche Abraham, quitte Ur pour s’installer en Canaan, entre le Jourdain et le littoral méditerranéen. C’est le peuple hébreu, qui cherchera à s’établir en paix sur sa terre promise. D’autres peuples sont aussi très tôt référencés par les premiers auteurs de la foi. Qu’il s’agisse de peuples terriens proches des Hébreux (Amalécites, Cananéens, Phéniciens…) ou de peuples de terres plus lointaines (grecs, assyriens, perses, romains…). De nombreuses civilisations africaines existent déjà avant J.-C. et renvoient tout autant à des peuples et des terres, ainsi qu’à divers rapports de paix/guerre avec d’autres peuples/terres. C’est en particulier le cas des plus évoquées d’entre elles par les auteurs de la bible : les civilisations d’Éthiopie/Soudan, d’Égypte, de Lybie…
Même aux premiers millénaires avant notre ère, un bon nombre de ces peuples renvoyait d’abord à une terre. Ils existaient les uns dans des rapports de puissance permanents aux autres, engendrant des mécaniques d’envahissements, de dominations, des mises en esclavages, des déportations… qui ont bien souvent fini par domestiquer l’absence continue de paix. L’histoire contemporaine porte certains de ces stigmates au sein de peuples privés de paix par des colonisations successives, des surexploitations de sols et de sous-sols, des dépossessions de terres, l’apartheid, des famines…
Parmi ces peuples, ceux d’Afrique sont les plus éprouvés. Il se pose tout naturellement la problématique de répondre aux défis d’une paix intérieure à même de catalyser un épanouissement vertueux des peuples et terres d’Afrique, en regard de leurs richesses humaines, naturelles et culturelles, dans leur aspiration à vivre en paix entre eux et avec le monde.
Diversités des Peuples
L’Afrique porte l’une des densités ethnolinguistiques les plus complexes au monde. C’est une telle myriade de peuples qu’il est risqué de regarder comme un corps culturel homogène du Nord au Sud et d’Est en Ouest. Là où la paix d’un Malgache s’étancherait par une adduction d’eau de qualité pour ses semences, un Égyptien rechercherait la paix avec ses voisins éthiopiens sur l’accessibilité du Nil. Là où un Peulh nomade de Mauritanie rechercherait à faire paître en paix des troupeaux sans menaces djihadistes, un Pygmée de forêt équatoriale du Gabon rêverait de paix quand les multinationales arrêteraient de scier son écosystème forestier. Là où un Libyen s’apaiserait à voir l’unité des frères d’hier, un Sud-Africain rechercherait la paix dans la cohabitation de victimes d’apartheid avec les Blancs, ect.
Ainsi, les peuples d’Afrique marqués par autant de diversités d’attentes de paix, appellent à beaucoup de prudence dans les transferts des solutions de paix qui leur sont proposées, surtout quand elles ne répondent pas plus à leurs attentes qu’à celles de ceux qui les pro(im)posent. Prenons garde au colonialisme éthique des organisations internationales dénoncé par notre Église !
Diversité des terres
De même que pour ses diversités humaines et culturelles, l’Afrique présente des terres hétérogènes. Arides et hostiles au Sahara, asséchées dans l’Est, tropicales et humides dans le centre. Mais chaque peuple fait l’effort de transformer ses terres pour se nourrir. Ceci non sans devoir s’opposer, lutter, soulever des conflits avec ses voisins. La question de la terre en Afrique ne peut être dissociée des frontières puisque la plupart de celles-ci ont scié les ponts culturels qui existaient (homogénéité entre des cultures ethniques ayant habité les mêmes terres durant des siècles/millénaires, mais contraintes de s’épanouir sur plusieurs terres d’états distincts aujourd’hui). La diversité des terres s’ajoute à celles des peuples et rend encore plus complexe le service de la paix sans considérer la pluralité de ses attentes. Ainsi, pendant qu’un Malien quêterait la paix via la maîtrise des ¾ de son territoire, un Marocain sahraoui rechercherait son indépendance territoriale. Là où plusieurs agriculteurs autochtones du sud du Nigéria doivent accueillir les bergers nomades Peulh (migrant du Sénégal vers le Tchad !), ceux de Benue, au centre-nord du Nigeria, voient en des bergers nomades un élevage migrateur qui détruit leur culture vivrière. Bien que plusieurs lois de pays recherchent en vain à harmoniser la cohabitation entre ces deux pratiques terriennes séculaires, la paix est fortement et durablement menacée.
Quelles peuvent donc être les attentes de paix pour les peuples et terres d’Afrique ?
Il serait prétentieux d’y répondre par une énième énumération qui ne parle pas aux Africains concernés en premier par ces défis. En toute prudence, il faudrait s’affranchir des solutions qui ont brillé par leurs échecs. L’Afrique, des peuples et terres pour la paix, recherchera une harmonisation des diversités de ses peuples pour continuer d’exprimer séparément leurs richesses particulières tout en mettant la paix comme premier objectif. Il faudra avancer vers une harmonisation de l’accession aux terres qui servent la paix, en dialoguant pour l’utilisation des ressources (eau, culture, aliments, bétails…) et en levant les obstacles qui sont un frein à l’établissement de la paix (langues, monnaies, frontières).
Cette recherche est possible parce que l’Afrique est anthropologiquement une civilisation de hautes valeurs de paix et d’harmonie interculturelle. Le dialogue entre différences est déployé dans chaque portion de village africain. La gouvernance de chaque unité sociale, la famille par exemple, répond à un ensemble de valeurs qui rendent possible la cohésion des peuples et des terres vers cette paix profonde.
Il faudra attendre une mise à distance de l’européocentrisme pour que la diversité des peuples du continent africain entre dans une acceptation à se recevoir comme projet africain dans les mains de Dieu. Les Catholiques d’Afrique sont porteurs d’un universalisme et d’une plénitude dans la foi pour le bien de la paix et de l’unification sur leur continent. Les Africains ont perçu que le Seigneur les envoie au milieu des leurs. Ce furent les premières ordinations d’autochtones qui établirent durablement l’Église au cœur d’une culture chrétienne d’Afrique. Cet accueil de la foi se fit au cœur d’une culture africaine qui percevait progressivement que la venue du Sauveur ne venait pas l’anéantir mais la purifier et l’éclairer. Le Seigneur est l’astre venu d’en haut pour éclairer les nations. Cela ne pouvait pas se faire sans l’inculturation, une vie ecclésiale authentiquement catholique et profondément africaine.
Monseigneur Jean Orchampt, évêque émérite d’Angers, fondateur de l’Université Catholique d’Abidjan, aimait à dire que l’Afrique avait une vocation à passer d’une terre à évangéliser à un continent de disciples évangélisateurs, pas seulement pour exporter des prêtres mais bien pour fonder et consolider la première œuvre avec l’annonce initiale. La réalité de l’Église en Afrique est mature et croissante. L’évangile reste pour l’Afrique comme pour l’Europe un facteur d’unité et de paix et une urgence absolue pour l’avenir. La vie évangélique reste un témoignage qui porte en elle-même une énergie qui transforme ceux qu’elle touche par la parole et par les actes.
L’Afrique, comme tous les autres continents, est plus qu’hier une terre où l’Évangile, vivant porté et vécu par les baptisés, doit y planter la paix. Si la diversité des peuples est une richesse, l’unité par la paix reste l’objectif de l’Église comme l’affirmait le cardinal Tauran. Lors de son voyage en Centrafrique en 2015, le pape François réaffirmait la nouveauté de l’Évangile qui jamais ne passe pour nous inviter à la persévérance et à l’enthousiasme missionnaire. La mission a besoin de nouveaux messagers, toujours plus nombreux, encore plus généreux, encore plus joyeux et encore plus saints, disait-il. Nous sommes tous appelés à devenir ce messager pour chacun de nos frères, quelles que soient son ethnie et sa culture. Tous attendent sans le savoir ce don de la paix qui nous vient du Seigneur, une paix qui unifie. Nous sommes tous invités, catholiques africains et européens à devenir la parole de Dieu en actes dans nos peuples. Le pape François invite tous les catholiques à devenir ou à se laisser renouveler sans chercher à fuir la réalité de nos sociétés, mais en y plongeant par amour du Seigneur et des frères. Saint François de Sales aimait à prêcher qu’il nous faut fleurir là où Dieu nous a plantés.
Un théologien français met en lumière la nécessité pour notre temps, en toute culture, occidentale, asiatique, africaine, américaine, orientale(…) d’accorder à nos paroles de foi, des actes humains cohérents. Il n’y a pas de lutte entre culture et foi mais une attente réciproque. L’Évangile ne projette pas ceux qui l’entendent et en vivent vers un au-delà de la culture comme pour les exclure et les rendre intouchables, mais il apparaît comme un principe unificateur, un levain dans la pâte, ce qui est le propre de la foi chrétienne. L’Évangile ne dissout pas les cultures, il les respecte dans un double mécanisme de purification et d’illumination. La foi est un moteur qui fait grandir les chrétiens qui vivent de leurs cultures en voulant les honorer par l’annonce de la Bonne Nouvelle. Notre expérience spirituelle chrétienne nous fait percevoir que l’aventure missionnaire commande de nous recevoir de l’Esprit Saint pour partager ce qui est reçu gratuitement. C’est en plongeant en Dieu pour en retirer paix et joie que nous irons au large à la rencontre des peuples pour transmettre ce que nous avons reçu avec joie. Nous voyons là que la tradition vivante de l’Église doit être transmise dans les peuples par des communautés vivantes locales, et c’est une des raisons pour lesquelles l’Église désire des clergés composés d’autochtones en immersion dans les cultures. Bien sûr il n’est pas à exclure les immersions de missionnaires étrangers, et à négliger les lentes et longues inculturations. Mais c’est précisément parce que je suis un fils de ma culture et que dans mes veines coule le sang de mes ancêtres que je vais en connaître les subtilités. Si la mission est l’œuvre de l’Esprit Saint, les conditions de son succès se trouvent également, partiellement en celles et ceux qui la mettent en œuvre.
La mission génère l’unité et la Paix. Une lecture seulement spirituelle risque de nous faire perdre de vue que l’évangélisation des cultures à toujours opéré une unification dans les peuples, les villages et les familles. L’Afrique d’aujourd’hui est une terre d’espérance, car si la diversité de ses peuples sur une même terre garde ses fragilités, la diversité comprise comme résultante de l’histoire convoque le besoin naturel de ponts. Ces passages parfois fragiles et jetés dans le vide des différences humaines, manifestent l’alliance de l’Unique avec la diversité, les noces éternelles que Dieu propose à l’humanité. Et nous savons tous que les alliances produisent la paix, et la paix engendre la liberté. Aussi cette belle terre d’Afrique, caractérisée par la diversité de ses peuples, a besoin chez elle de nouveaux ponts vivants, de missionnaires comme Saint Paul qui s’est fait grec avec les grecs et juif avec les juifs, par le truchement de la culture. Ces apôtres de la nouvelle évangélisation sont déjà les artisans de paix.
Pas de paix sans unité, pas d’alliances sans la diversité, pas d’apostolat sans la joie, pas de sainteté sans amour. L’œuvre de l’Esprit s’accomplit avec les Africains dans le cénacle de l’Afrique qui attend son effusion pour en être renouvelée ».