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Évêques du Tchad : « peuple tchadien, marchons ensemble dans l’espérance »

28 Déc, 2021

À la fin de leur assemblée plénière de décembre, les évêques du Tchad ont publié leur désormais traditionnel message de Noël.

Un message comme chaque année très ancré dans la situation politique, économique, éducative, sociale du pays, et qui « se veut une invitation à porter un regard d’espérance sur notre Église et notre pays ». Une invitation aussi à « marcher ensemble dans l’écoute mutuelle afin de construire une fraternité nationale qui transcende les divisions et les clivages qui nous font peur actuellement ».

« Peuple tchadien, marchons ensemble dans l’espérance »

« Sans cesse nous nous souvenons que votre foi est active, que votre charité se donne de la peine, que votre espérance tient bon en notre Seigneur Jésus Christ, en présence de Dieu notre Père. » (1 Th1, 3).

Chers frères et sœurs dans le Christ, hommes et femmes de bonne volonté !

1. À Noël, nous fêtons Emmanuel, Dieu avec nous. Un Dieu proche qui fait route avec son peuple. La venue de Jésus-Christ, Prince de la paix dans notre monde est une invitation à la construction d’une société nouvelle voulue par Dieu.

2. Notre message de Noël de cette année se veut une invitation à porter un regard d’espérance sur notre Église et notre pays. Dieu nous aime et nous convie à accueillir avec joie et espérance le don de sa paix : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous la donne pas à la manière du monde. Que votre cœur ne se trouble pas » dit Jésus aux disciples (Jn 14, 27).

3. Convaincus que Dieu est présent au milieu de son peuple, nous sommes solidaires des joies et des espérances, des tristesses et des angoisses de nos fidèles et de nos concitoyens (cf. GS 1). Cela nous invite à marcher ensemble dans l’écoute mutuelle afin de construire une fraternité nationale qui transcende les divisions et les clivages qui nous font peur actuellement. L’expérience du Colloque sur nos messages, la célébration prochaine du centenaire de l’Église catholique au Tchad et le dialogue national inclusif en cours nous invitent tous à regarder l’avenir avec espérance.

I. NOS RAISONS D’ESPÉRER

4. Dieu a un projet pour le peuple tchadien. Le prophète Jérémie le dit clairement dans sa prophétie : « Je sais, moi, les desseins que je forme pour vous, oracle du Seigneur, desseins de paix et non de malheur, pour vous donner un avenir et une espérance » (Jr 29, 11). Cette prophétie de Jérémie s’adresse aujourd’hui au peuple tchadien et s’accomplit en Jésus-Christ, notre espérance.

5. « Pour nous chrétiens, la foi est espérance » (Benoît XVI, Spesalvi, n° 2). Elle prend en compte la vocation sociale du chrétien (cf. CEC, n° 1464) et constitue la force courageuse pour un peuple sur le chemin de la liberté. Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, mort pour nos péchés et ressuscité pour notre salut est la source de l’espérance (cf. Rm 4, 25). Et le temps de Noël, celui de la naissance de Jésus-Christ notre Sauveur, nous permet de trouver des raisons et des ressorts indispensables pour oser inventer notre avenir. Elle nous donne le courage de nous mettre du côté du bien, même là où cela semble sans espérance (cf. Benoît XVI, Spesalvi, n° 36).

6. « L’espérance chrétienne est basée sur la foi que Dieu crée toujours de la nouveauté dans la vie de l’homme » (Pape François, Audience générale du 23 août 2017). Elle n’est pas une attente passive, avec les bras croisés ; elle est dynamique et active. L’espérance nous pousse à nous engager à la suite de Jésus dans la construction d’un Tchad nouveau, plus juste et fraternel à l’image du Royaume de Dieu qui est royaume de vérité, de justice, d’amour et de paix. L’espérance nous pousse à nous engager pour changer ce qui n’est pas bon en nous et autour de nous : dans nos familles, nos communautés, nos villes et villages, notre société ; dans les lieux où nous exerçons nos responsabilités professionnelles, politiques, militaires et sociales. Vivre l’espérance exige de nous une conversion.

7. Au Tchad, nous ne pouvons pas vivre la conjoncture actuelle sans perdre de vue les signes de la présence de Dieu et de son amour. Nous sommes témoins de la croissance quantitative de milliers de nouveaux baptisés chaque année dans nos diocèses. L’augmentation du nombre des chrétiens conduit à la création de nouvelles communautés chrétiennes.

8. Pour servir ces communautés, un nombre croissant de jeunes filles et garçons tchadiens s’engagent chaque année dans la vie religieuse et sacerdotale. En moins de cinq ans, Dieu nous a fait don de quatre nouveaux évêques tchadiens. Aux côtés du clergé, des religieux et religieuses, nous constatons l’engagement des laïcs au sein de leur communauté, mouvement et de la société tout entière au nom de leur foi.

9. Au niveau socio-culturel, les établissements catholiques sont des véritables lieux de brassage et d’apprentissage du vivre ensemble. Nombreux sont les enfants issus des différentes couches sociales, de diverses communautés culturelles, religieuses, linguistiques et géographiques qui fréquentent les mêmes écoles, tissant ainsi de bonnes relations d’amitié et de fraternité.

10. Nous ne pouvons pas oublier de rappeler la participation de tous les Tchadiens à la lutte pour obtenir l’indépendance et la souveraineté. Cet acte de solidarité et de participation louable se trouve renforcé par l’avènement de la démocratie et la Conférence nationale souveraine de 1993. La Constitution de 1996, qui a recueilli le consensus de tous les citoyens, a été torpillée dans sa mise en œuvre, brisant ainsi les espoirs des Tchadiens.

11. C’est justement sur la base de ces acquis de la Conférence nationale que la jeunesse tchadienne se réveille et revendique aujourd’hui sa participation à la gestion de la chose publique pour mieux exprimer sa maturité et son devoir vis-à-vis de la nation. Le réveil de cette jeunesse consciente de son avenir, éprise de justice et de paix, vient donner du sang neuf à notre démocratie et au panorama politique de notre pays.

12. La réclamation du dialogue national inclusif par la majorité de Tchadiens exprime leur volonté de changer la page sombre de leur histoire et de regarder l’avenir avec optimisme. Les consultations en vue de ce dialogue national inclusif et la main tendue aux politico-militaires sont autant des éléments qui expriment cette volonté nationale de rompre avec le passé. Cela montre que les Tchadiens sont capables de s’assoir autour d’une même table et de décider de leur destinée. C’est pourquoi, il ne faut pas se décourager, mais continuer à « espérer contre toute espérance » comme Abraham, notre Père dans la foi (cf. Rm 4, 18).

13. Voilà les raisons qui nourrissent notre espérance. Malheureusement, nous constatons avec inquiétude qu’il existe encore des comportements et attitudes qui font obstacle à cette espérance.

II. LES OBSTACLES A L’ESPÉRANCE

14. Parmi ces obstacles, nous voulons commencer par nous chrétiens, appelés à être « sel » et « lumière » de notre nation. Malgré le don de la croissance constaté, nous montrons peu de signes de vitalité de notre foi. Dans beaucoup de situations, les chrétiens ont peur d’affirmer leur identité chrétienne et acceptent des compromissions, contraires aux valeurs évangéliques.

15. Sur le plan politique, l’espérance du Tchadien se retrouve une fois de plus compromise par les rébellions répétitives. La mort tragique du feu Président Idriss Deby Itno montre que nous ne sommes pas encore sortis du cercle vicieux des conflits armés. Le non-respect de la Constitution et des règles du jeu démocratique pour convier tous les Tchadiens à un dialogue social constitue un recul de la démocratie dans notre pays.

16. Pour beaucoup de nos concitoyens, le processus du dialogue national inclusif constitue un grand espoir pour assurer une paix durable dans notre pays. Mais dans sa forme comme dans son contenu, ce dialogue dit « inclusif » semble être loin de recueillir l’unanimité de tous les Tchadiens. Toutes les conditions pour un dialogue crédible et sincère ne sont pas réunies. Le manque d’écoute de la voix de certaines couches sociales renforce l’inquiétude des Tchadiens et le scepticisme de certains leaders de la société civile.

17. La Charte de transition élaborée de manière unilatérale et opaque par le Conseil Militaire de Transition (CMT), la désignation non consensuelle des membres du Comité d’Organisation du Dialogue National Inclusif (CODNI), la cooptation des membres du Conseil National de Transition (CNT) par décret et l’organisation des pré-dialogues dans des conditions confuses sont autant des signes visibles de la volonté d’un groupe qui veut imposer à tout prix sa vision politique au reste des Tchadiens.

18. Sur le plan socio-culturel, le système éducatif tchadien est malade. L’effondrement de ce système éducatif a pour conséquence une baisse de niveau généralisée. L’avenir de nombreux enfants tchadiens est déjà hypothéqué. Un peuple sans instruction est un peuple sans avenir. Selon l’Indice de Capital Humain 2020 de la Banque Mondiale, « un enfant né au Tchad ne peut espérer atteindre que 30% de son potentiel productif au cours de sa vie en raison d’une éducation inadéquate et de problèmes de santé ». S’ajoute à cela le phénomène du trafic et l’exploitation des enfants qui montrent que certains compatriotes considèrent les autres comme des objets et non des semblables.

19. Sur le marché du travail, l’État peine à créer de l’emploi pour absorber les jeunes diplômés. Sans le travail, l’homme perd sa dignité et peut devenir dangereux pour sa société. C’est d’ailleurs ce qui explique la révolte de certains jeunes et plonge d’autres dans le désespoir, les obligeant ainsi à se lancer dans la consommation abusive d’alcool, de la drogue et autres stupéfiants ou à s’adonner au vol, au viol et à la prostitution. Cette situation pousse certains jeunes à aller à l’aventure où ils sont victimes de l’extrémisme violent ou réduits en esclavage dans les champs miniers et autres travaux indignes pour chercher à subsister.
Pendant qu’un bon nombre de concitoyens espèrent en vain leur intégration à la fonction publique, d’autres sont propulsés aux échelons de la fonction publique sans tenir compte des critères de compétence et d’expérience. Le paiement irrégulier des pensions des retraités et des bourses des étudiants aggrave la crise sociale que traverse notre pays. La précarité de la vie se ressent partout, mais les discours officiels et la cherté de la vie semblent nier la réalité de cette souffrance des Tchadiens.

20. Sur le plan socio-économique, malgré d’énormes potentialités dont regorge le pays, toutes les analyses classent régulièrement notre pays parmi les trois derniers les plus pauvres au monde. Les deux mamelles de l’économie tchadienne, l’agriculture et l’élevage, ne sont pas productives et compétitives. Nous sommes restés dans l’économie de subsistance. Les quelques rares industries du pays traversent des difficultés à cause de la nomination des responsables par complaisance et la mauvaise gestion. Le pétrole qui avait soulevé beaucoup d’espoir chez les Tchadiens est l’exemple type du secteur économique qui les a déçus.

21. Sur le plan sécuritaire, la complexité des conflits intercommunautaires, surtout les conflits agriculteurs et éleveurs, prennent de plus en plus une tournure dramatique à cause de l’utilisation des armes à feu fournies par des « néo-éleveurs ». Ces conflits se soldent souvent par des morts d’hommes et de pertes économiques énormes pour le pays, aggravant ainsi la misère dans beaucoup de villages. L’insécurité avec des cas d’assassinats, les enlèvements contre rançon dans le Mayo-Kebbi Ouest, la violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales, les arrestations et amendes arbitraires sont monnaie courante. L’immixtion du pouvoir exécutif et la corruption dans le système judiciaire ne permettent pas aux magistrats d’apporter une solution aux problèmes sécuritaires.

III. CULTIVONS L’ESPÉRANCE

22. Par ce message de Noël, nous voulons exprimer notre ferme engagement à contribuer aux instances de restauration du tissu social. Nous invitons avec nous tous les croyants, hommes et femmes de bonne volonté à construire ensemble un Tchad laïc qui repose sur la justice, la liberté, la vérité et l’amour.

Aux leaders religieux
23. En tant que « veilleurs sur la cité », notre rôle est d’être les témoins et les promoteurs des valeurs fondamentales de la vie sociale : respect de la vie humaine, égalité des citoyens en droits et en devoirs, accès au bien commun, juste répartition des ressources du pays, justice et paix. Nous avons donc le devoir de dénoncer tout ce qui peut faire obstacle au vivre ensemble des différentes communautés, de prendre la défense des petits et des opprimés. Nous avons manqué de nous impliquer dans certaines crises qu’a connues le pays, laissant à d’autres le choix des solutions. Pour cela, nous en demandons pardon à tous nos concitoyens que nous avons déçus.

24. Notre souhait est que la plateforme des leaders religieux retrouve l’intention noble des fondateurs ; sa composition et son fonctionnement doivent être revus pour devenir véritablement un creuset pour les confessions religieuses afin d’offrir le modèle de tolérance et de respect réciproque de toutes les traditions et confessions religieuses. Nous invitons tous les leaders religieux à continuer de prier et à faire prier les fidèles pour soutenir toutes les personnes de bonne volonté qui œuvrent en faveur de la réconciliation des cœurs, dans la préparation du dialogue national inclusif. Pour cela, nous proposons qu’une prière soit organisée dans nos différents lieux de culte à la veille dudit dialogue afin d’implorer la miséricorde de Dieu pour sa réussite.

Aux fidèles catholiques
25. L’invitation du Pape François à vivre la synodalité et la prochaine célébration du centenaire de notre Église sont des lueurs d’espoir. Ces événements sont une occasion à marcher ensemble pour rendre grâce au Seigneur pour tous ses bienfaits et à témoigner notre engagement à construire une société juste et fraternelle. N’ayez pas peur ! Nous vous exhortons à être audacieux et créatifs pour développer le leadership chrétien à tous les niveaux de la vie sociopolitique et économique.

Aux autres croyants
26. Frères et sœurs, croyants des autres confessions religieuses, avec vous, nous partageons la même conviction de la miséricorde de Dieu envers les peuples. Nous vous exprimons toute notre gratitude pour votre proximité à défendre le respect de nos lieux de culte et la dignité de nos valeurs religieuses. Que les différentes manières de croire et de célébrer la foi en Dieu soient d’authentiques expressions de la richesse d’un Tchad uni dans sa diversité culturelle et religieuse. Soyons toujours vigilants pour éviter que le Démon de la division ne profite de la pluralité religieuse pour accentuer le mur de la division et les discriminations dont sont déjà victimes bon nombre de nos concitoyens. Que nos efforts pour construire l’unité fassent de notre nation, une société harmonieuse qui aime la justice, la vérité et la paix. Prions sans cesse pour que l’unité, la paix et la concorde adviennent dans notre pays.

A la population tchadienne
27. Et vous nos compatriotes, nous vous invitons à faire preuve de patriotisme et de dialogue social : « Se rapprocher, s’exprimer, s’écouter, se regarder, se connaître, essayer de se comprendre, chercher des points de contact, tout cela se résume dans le verbe
‘‘dialoguer’’ » (Pape François, Fratelli tutti, n° 198). Seul le dialogue franc et sincère qui se déploie dans tous les aspects de la vie engendrera la capacité de se pardonner et de se réconcilier. Dans la conjoncture actuelle, nous vous exhortons à faire du dialogue social votre pain quotidien qui nourrit vos rencontres afin de lutter ensemble contre le radicalisme, le fanatisme, le terrorisme et toute forme de violences qui risquent de détruire notre pays et notre peuple.
Aux jeunes
28. Chers jeunes, soyez courageux dans les tâches qui vous incombent. Soyez forts et solidaires faces aux obstacles. Mettez votre intelligence et vos qualités au service de la construction d’un Tchad nouveau. Ne vous laissez pas abuser. Votre pays a besoin de vous. Ne le décevez pas !
A la société civile
29. Devant le climat socio-politique actuel de notre pays, nous vous encourageons à continuer à défendre les droits de l’homme, les libertés fondamentales et à travailler pour l’unité de tous les Tchadiens. Que l’utilisation des moyens de pression légaux se fasse dans le seul but de l’intérêt général de la Nation et du bien-être de la population. Aussi, nous vous invitons à faire preuve de plus de réalisme dans vos actions et prises de position. « Les héros de l’avenir seront ceux qui décideront de défendre avec respect un langage chargé de vérité, au-delà des avantages personnels » (Pape François, Fratelli tutti, n° 202).

Aux acteurs politiques
30. Et vous, hommes et femmes politiques, que l’engagement politique de saint Thomas More, patron des Gouvernements et des hommes politiques, vous inspire à faire preuve de patriotisme et de loyauté pour privilégier la vérité au détriment de la compromission afin de ne jamais séparer l’homme de Dieu et la morale de la politique dans l’exercice du pouvoir. Ayez le courage d’obéir à votre conscience et de respecter votre opinion politique sans céder au relativisme. Tâchez d’être cohérents avec les besoins du peuple que vous voulez servir.

À la Communauté internationale
31. Nous osons demander à la Communauté internationale d’écouter les cris et les profondes aspirations du peuple tchadien qui veut accéder à sa pleine souveraineté politique et économique. Notre jeune démocratie exige de ses partenaires un accompagnement judicieux à tous les niveaux pour permettre au pays de réaliser son développement et de participer à la stabilité sécuritaire de la sous-région.

Aux Institutions de la transition
32. Nous invitons toutes les Institutions de la transition à écouter les attentes du peuple tchadien dans la mise en œuvre de la feuille de route de la transition. Soyez les garants et les promoteurs des droits humains et des libertés fondamentales de tous vos concitoyens. Aussi, que le rôle de l’Armée nationale demeure celui de défendre l’intégrité du territoire national, d’assurer la paix à l’intérieur des frontières, la sécurité des personnes et des biens. Nous vous invitons enfin à respecter votre parole d’honneur devant la nation pour garantir la réussite du processus de la transition.

Que la venue du Fils de Dieu dans notre monde apporte une aube nouvelle dans nos cœurs et ouvre une nouvelle page de l’histoire de notre pays !

Joyeuses fêtes de Noël et du Nouvel An 2022 !

 

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