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Dans les diocèses africains, l’urgente question de l’autonomie financière

28 Fév, 2021

Le cardinal Luis Antonio Tagle, préfet de la Congrégation de lʼévangélisation des peuples, a demandé, début décembre, aux évêques des territoires de mission de réfléchir à une baisse des soutiens financiers venus de Rome.
En Afrique, cette éventualité a provoqué un vif débat : les uns se félicitant que les diocèses soient poussés à ne plus dépendre de lʼextérieur, les autres rappelant le « devoir de solidarité ».

« Lʼappel lancé par Rome est certainement le début formel de la fin du temps du syndrome de mendicité. » En peu de mots, le père Ambroise Kinhoun, théologien béninois livre une analyse tranchée quant à la lettre
du cardinal Luis Antonio Tagle, préfet de la Congrégation de lʼévangélisation des peuples qui suscite un vif débat sur le continent africain.
Dans un courrier datant du 3 décembre, le cardinal Luis Antonio Tagle demande, en effet, aux diocèses des territoires des missions dʼenvisager de renoncer aux subsides qui leur sont dédiés annuellement au profit de
ceux, dʼentre eux, qui sont les plus nécessiteux. En cause, une chute des dons collectés par les OEuvres pontificales missionnaires (OPM) en raison de la pandémie.

Ces « territoires des missions » gérés par la Congrégation pour lʼévangélisation des  Peuples sont composés de la plupart des diocèses dʼAfrique, dʼAsie, dʼOcéanie, et dʼAmérique du Sud, soit environ 1 100 diocèses. Ils bénéficient, pour leur fonctionnement, dʼune somme allouée annuellement par les OPM, appelée « subside ordinaire ».

Une baisse amorcée depuis quelques années

Une diminution de ces soutiens financiers nʼest pas une surprise, comme le souligne Mgr Ignace Bessi, archevêque de Korhogo et président de la conférence épiscopale de Côte dʼIvoire qui explique quʼune baisse des subsides est amorcée depuis déjà quelques années. Et avec une réflexion sur lʼautonomie financière : « Pour moi, toute Église doit tendre vers lʼautonomie financière pour, à son tour sʼoccuper des autres, des plus faibles. »
Pour le cardinal Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, le courrier des OPM sonne comme une alerte et doit susciter une réflexion dans lʼÉglise. « Une époque est en train dʼêtre révolue, il nous faut créer
des chemins nouveaux, innovateurs » renchérit Mgr José Moko Ekanga, évêque du diocèse dʼIdiofa, dans lʼouest de la RD-Congo et viceprésident de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco).
Pour Maryse Quashie, laïque et universitaire togolaise, les Églises africaines nʼont, de toute façon, plus vraiment dʼautres choix que de tendre vers lʼautonomie. « Elles devront à plus ou moins long terme se
passer des subsides lorsque Rome nʼaura plus les moyens dʼen distribuer », fait-elle remarquer.

Abandonner « la culture de lʼauto-apitoiement »

Sʼil nʼest, pour le moment, pas officiellement question de suppression ou de réduction pérenne des subsides, cette éventualité inquiète. Le père Benjamin Koné est vicaire général du diocèse de Katiola, dans le nordouest de la Côte dʼIvoire, en charge des finances et des structures économiques. Pour lui, les subsides sont « une bouffée dʼoxygène ».
Mgr Moko Ekanga, lui, ne cache pas son appréhension puisque dans nombre de diocèses africains, les subsides sont attendus « chaque année comme une planche de salut ».
La situation est encore plus délicate en Centrafrique, pays plongé dans lʼinstabilité depuis 2013. « Si les subsides venaient à y être supprimés, ce serait dramatique », sʼinquiète le cardinal Dieudonné Nzapalainga. Mais il convient clairement, pour plus dʼun, de se défaire de ce que le père Kinhoun appelle le « syndrome de mendicité ». Déjà en 2016, Mgr Cyprian Kizito Lwanga, archevêque de Kampala appelait ses
compatriotes à abandonner « la culture de lʼauto-apitoiement ». Une attitude qui, selon lui, les condamne à la mendicité auprès des pays développés. Lʼuniversitaire Maryse Quashie renchérit : « La première
contribution, qui me semble fondamentale, est un changement de mentalité. » Dans ce contexte, le premier chantier, aux yeux de Mgr Moko, « est de conscientiser ses fidèles à la prise en charge ».

« Ces diocèses ne font pas que recevoir des autres Églises »

Le père Ambroise Tine, prêtre sénégalais en mission en France, propose de nuancer le « syndrome de mendicité » rappelant le devoir de solidarité dans lʼÉglise. Les diocèses de territoires dits des missions ne font-ils finalement pas leur part en envoyant nombre de missionnaires dans les diocèses de la vieille chrétienté ? Cʼest la question quʼinduit sa remarque : « Il sied de noter que les diocèses bénéficiaires des subsides
sont aussi pourvoyeurs de prêtres, de religieux et religieuses dans beaucoup de pays où il en manque. En cela, ces diocèses ne font pas que recevoir des autres Églises, ils donnent aussi de leur richesse
humaine. »
Quoi quʼil en soit, à moyen ou long terme, lʼautonomie financière ne sera plus une option mais une contrainte. Et elle appelle à un nouveau mode de vie. Le père Jean- Baptiste Uwonda, du diocèse de Mahagi-Nioka,
dans la province de lʼIturi, en RD-Congo renchérit : « Je dois dire que cʼest enfantin, après cent ans, dʼattendre tout de Rome alors que nous avons des potentialités énormes, localement. La paresse y est pour
beaucoup et la recherche dʼune vie de luxe dans la vie consacrée encourage cette dépendance. Pourtant, la plupart des consacrés viennent des familles pauvres. »

De nombreux projets déjà lancés

Julie Ndiaye, une catholique de Dakar, insiste sur la nécessité dʼune bonne gestion des fonds de lʼÉglise pour « que les fidèles soient plus encouragés à faire des dons », commente-t-elle. Enfin, globalement au sein des diocèses africains, depuis plusieurs années, de nombreux projets sont lancés pour favoriser une autonomie financière. En Côte dʼIvoire, le vaste chantier de la péréquation nationale a été lancé depuis de 2017 tandis quʼune collecte commune à tous les diocèses le jour de la Pentecôte alimente le Fonds national catholique.
Du côté de Bossangoa, le diocèse de Mgr Nestor Nongo-Aziagbia, dans le nord-ouest de la Centrafrique, nombre dʼinitiatives ont été lancées avec un succès mitigé : quincaillerie, dépôt de boissons, restaurants,
dépôts pharmaceutiques, petit et gros élevage, agriculture et projets immobiliers. La lettre du cardinal Tagle, en plus dʼavoir provoqué un électrochoc a aussi suscité, le besoin, au sein des Églises dʼAfrique, de poser un débat de fond sur la question de lʼautonomie financière. Mais si certains diocèses, notamment celles des grandes capitales africaines, sont presque autonomes, dʼautres risquent dʼêtre, longtemps encore,
dépendants des subsides en raison de la situation sociopolitique et économique de leur pays.

« Il est temps de nous prendre en charge »

Mgr Laurent Lompo, archevêque de Niamey « Lʼéventualité dʼune restriction des subsides doit nous faire prendre conscience quʼil est temps de nous prendre en charge. Il sʼagira de partager entre nous le peu que nous avons. Les diocèses nantis sont invités au partage avec les autres qui le sont moins. Cela nous rappelle aussi un proverbe de chez nous qui dit que : “Celui qui est couché sur la natte de quelquʼun, quʼil ne se gonfle pas dʼorgueil car le jour où le propriétaire retirera sa natte, il finira par se coucher par terre”. Je pense que la suppression progressive des subsides serait une bonne chose car cela nous permettra de mieux nous préparer pour notre auto-prise en charge. »

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