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Trois capsules pour un bon carême (Exhortation quadragésimale)

17 Fév, 2021

Nous entrons en guerre. Le temps de carême c’est quarante jours de combat. Contre quoi ? Contre qui ? Contre le mal. Et ce mal est avant tout à l’intérieur de nous-mêmes. Dans cette Vie Diocésaine, je voudrais vous exhorter à prendre au sérieux trois conseils que je considère comme des capsules nécessaires pour notre conversion, notre cœur, notre microbiote spirituel.

Et tout d’abord faire un pacte avec sa langue

Nous vivons dans un monde bruyant. un certain seuil, le bruit altère le sommeil, la concentration et même la productivité. Il augmente la tension artérielle. Or, toute chose sérieuse s’opère dans le silence. Pour entrer en contact avec Dieu, il faut absolument le silence extérieur et surtout intérieur. « Adoration et silence sont frère et sœur » dit le cardinal Robert SARAH dans son puissant livre La Force du silence contre la dictature du bruit. Toute notre force est dans la prière, l’oraison silencieuse, ce cœur à cœur de notre âme avec Jésus. C’est le moyen le plus indiqué pour accéder à l’état d’amitié et d’union avec Dieu. Quarante jours de silence, ce n’est pas trop. Avant nous, Jésus l’a fait au désert. Une grande partie de nos heures quotidiennes devraient être consacrées au silence. St François de Sales, docteur de l’amour, nous en donne l’exemple :

« Un jour, un voisin se querella avec l’évêque François. Au petit matin, avec ses valets et sa meute de chiens, il alla sous la fenêtre de l’évêque. Tranquille, silencieux, l’évêque sortit. Les valets et leur maître criaient des injures, les chiens aboyaient. Le monsieur alla même jusqu’à donner deux coups à l’évêque qui, maître de soi, ne dit rien. Devant une telle impassibilité, le monsieur se calma et s’en alla. Des voisins accoururent et demandèrent à l’évêque : « Pourquoi avez-vous gardé silence ? Pourquoi n’avez-vous pas répondu à ce fou ?« . Il répondit : « C’est un pacte que nous avons fait, ma langue et moi. Nous nous sommes promis que, tant que mon cœur serait ému, ma langue demeurerait silencieuse » ».

Et oui, si on faisait tous ce pacte avec notre langue, un effort pour apprendre à maîtriser chacun sa langue ! C’est un petit membre qui peut faire beaucoup de dégâts monstrueux mais aussi beaucoup de bien. Chacune des phrases qui sortent de notre bouche peut avoir un impact dans le monde spirituel. Dieu nous a fait don de la parole pour bénir, édifier, exhorter, redonner confiance, complimenter, encourager, aimer. Tant que c’est pour faire le bien, allons-y, à temps et à contre temps. Je n’ai pas dit à tort et à travers. Mais, de grâce, ne nous servons pas de notre langue pour humilier, blesser, dévaloriser, aduler obséquieusement ou tout simplement semer la discorde. Si nous ne pouvons pas dire des paroles pleines de sens, donnant du sens et recherchant du sens, alors taisons-nous. Silence ! « Qu’aucune mauvaise parole ne sorte de votre bouche… Mais s’il y en a besoin, dites une parole bonne, constructive… Faites disparaître de votre vie tout ce qui est amertume, emportement, colère éclat de voix ou insulte, ainsi que toute espèce de méchanceté » (Eph 4, 29…31). Les blessures prodiguées par nos paroles mettent souvent beaucoup plus de temps à se cicatriser que les blessures corporelles. Satan nous pousse à nous servir de notre langue pour montrer que nous sommes tout-puissants. Mais la sainte Bible réplique : « Si quelqu’un ne chute pas en parole, celui-là est un homme parfait, capable de refréner le corps tout entier » (Jacques 3, 2). Face aux provocations méchantes, aux disputes sauvages et autres situations où nos nerfs sont mis à rude épreuve, que faire ? Préférer garder le silence comme Jésus sur la Croix alors que le premier larron se moquait méchamment de lui. Au pire des cas, faisons comme saint Paul. Au lieu de se venger d’Alexandre le forgeron, il a préféré le confier à Dieu (2 Tim 4, 14). Que Dieu réponde aux malfaiteurs à notre place. Cela semble une faiblesse mais c’est une force. Saint Paul l’a appris à son corps dépendant : « Lorsque je suis faible c’est alors que je suis fort« .

Saint Joseph, modèle du silence, dans l’écoute et l’accomplissement de la volonté de Dieu mérite d’être invoqué. Le pape François nous enseigne que le silence de Saint Joseph est l’expression intérieure du don de soi : « Le bonheur de Joseph n’est pas dans la logique du sacrifice de soi, mais du don de soi. On ne perçoit jamais en cet homme de la frustration, mais seulement de la confiance. Son silence persistant ne contient pas de plaintes mais toujours des gestes concrets de confiance. » (Pape François, Patris corde, n°7).

Soigner ses relations avec Dieu et les hommes

J’ai entendu un médecin psychologue dire : « Le plus grand échec de l’homme, c’est le narcissisme« . J’ai voulu en savoir plus. Et voici ce que j’ai trouvé. « Avant toute chose, la personne narcissique nourrit la conviction d’être d’une valeur hors du commun. De cette certitude découlent beaucoup d’autres symptômes : elle mérite plus d’attention que les autres ; elle est uniquement préoccupée par ses ambitions de succès… elle s’attend à des attentions qu’elle considère comme des dûs ; elle éprouve de la colère et même de la rage lorsqu’on ne lui accorde pas ces privilèges ; elle ne se remet pas en question… ayant très peu d’intériorité, elle ne peut vivre qu’en vampirisant un autre » (Pascal IDE).

Le pervers narcissique est un demi-fou, un manipulateur qui se valorise en rabaissant les autres. Il use de nombreuses armes contre sa victime : petites phrases assassines, mensonges, moqueries, humiliations, critiques, dénigrements, etc. Alors qu’il est tout sourire en public, il peut se transformer en véritable tyran en privé. Il avance souvent masqué. Il a, en réalité, une basse estime de sa personne, une image dévalorisante de lui-même qu’il reporte sur les autres dans l’espoir d’être valorisé et même idolâtré. Voilà pourquoi il cherche à détruire chez les autres le bonheur qu’il n’a pas. Car il ne supporte pas qu’on apprécie un autre que lui.

Que faire si nous faisons partie de ces personnes ? Prendre conscience que nous avons un sérieux handicap spirituel, moral et psychique et que nous avons réellement besoin d’être accompagné spirituellement, moralement et psychiquement pour une véritable conversion. Se convertir, c’est accepter de se laisser retourner intérieurement par l’amour de Jésus Christ pour enfin nous efforcer de mettre nos pas dans les siens. Le premier remède ou chemin de la conversion, à en croire Saint Jean Chrysostome, c’est la condamnation de nos fautes : « Celui qui condamne ses fautes craindra davantage d’y retomber« . Arrêtons de charger à tort ou à raison les autres. Arrêtons d’interpréter négativement les paroles et gestes des autres. Revenons à nous. Entrons en nous et faisons une bonne lessive spirituelle. Évitons de garder rancune à ceux qui nous ont offensés. Essayons de dominer notre colère pour pardonner les offenses qui nous sont faites. « Si vous pardonnez à vos débiteurs, mon Père qui est aux cieux vous pardonnera… Mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos fautes » (Mt 6, 14-15). Cette consigne grave de notre Seigneur est donnée à la fin de la prière du « Pater Noster » : « Mais délivre-nous du Mauvais ». Pardonnons et demandons pardon. Celui qui ne pardonne pas est donc sous l’emprise du Mauvais. Moins il pardonne et plus il s’intoxique. Son anxiété augmente sa misère. Il s’enferme dans une prison qu’il s’est construite lui-même et il finit par respirer mal ; il étouffe et il devient très irascible. Il aboie sur tout le monde.

Le temps du Carême est propice pour faire la maintenance du cœur. Il faut se retirer dans un lieu désert, un endroit tranquille, se ménager des moments de détente pour nourrir son âme. « Le fait de montrer du doigt et le jugement que nous utilisons à l’encontre des autres sont souvent un signe de l’incapacité à accueillir en nous notre propre faiblesse, notre propre fragilité. Seule la tendresse nous sauvera de l’œuvre de l’Accusateur (cf. Ap 12, 10). C’est pourquoi il est important de rencontrer la Miséricorde de Dieu, notamment dans le Sacrement de la Réconciliation, en faisant une expérience de vérité et de tendresse. » (Pape François, Patris corde, n°2).

Jeûner de nourriture c’est bien mais jeûner de pensées négatives et d’images de violence c’est mieux. On peut diminuer ses soucis en se faisant plaisir : lire un bon livre, écouter une belle musique, faire du jardinage… et surtout prendre la vie du bon côté. « La joie du Seigneur est notre rempart« . Profitons du carême pour revitaliser et redynamiser nos relations réciproques. Faisons des surprises agréables à nos proches. Reprenons contact avec le vieil ami qu’on a perdu de vue depuis un moment. Au total, soignons nos relations humaines et nos relations avec Dieu.

Ce travail d’entretien de la vie spirituelle devrait être régulier. C’est un investissement qui vaut la peine. Les bonnes relations aident à avoir une bonne santé physique et mentale.  L’altruisme est évangélique. L’Église en sortie missionnaire doit prendre soin de ceux qui ont besoin de nos attentions. Ça nous rend service. Car celui qui donne l’amour reçoit l’amour en retour…

La troisième capsule concerne l’aumône ou la générosité.

Donner généreusement

L’aumône ou le partage a une puissance considérable et indicible dans notre vie. Ce témoignage de Tertullien (IIe siècle) est digne d’éloge. Nous sommes à Carthage, en Afrique : « Il y a chez nous une caisse commune. Chacun verse une petite cotisation. On fixe un jour par mois. Les cotisations sont comme un trésor réuni par amour pour Dieu. On ne prend pas cet argent pour faire de repas (…). On le prend pour nourrir les pauvres, payer leurs funérailles, aider les jeunes qui n’ont pas de quoi vivre et qui n’ont plus de parents (…). Cette façon de vivre la charité nous fait remarquer. Beaucoup de païens disent en parlant des chrétiens : « Voyez comme ils s’aiment les uns les autres » (Apolégétique n°39).

La générosité est l’expression de la nudité de l’homme devant Dieu. Le saint homme Job l’a expérimenté : « Nu, je suis sorti du sein de ma mère, nu j’y retournerai » (Jb 1, 21). Prenant conscience qu’il a tout reçu de Dieu, il comprend que l’acceptation du dépouillement est un gain pour l’homme. Donner avec générosité, c’est apprendre à se dépouiller pour Dieu dans le prochain.

La foi implique toujours sacrifice et charité dans le profond désir d’imiter le Christ venu changer le monde. L’Église continue ce gigantesque projet de salut. Que chacun s’engage à avoir un cœur d’enfant de Dieu qui chante ses merveilles en tout temps. Bonne route vers Pâques.

Pascal N’KOUE
Omnium servus

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